Écrit par Danielle Moloney, Original Post, Traduit par Marine Amann
Introduction
Des scientifiques du monde entier se sont réunis dans un article récent détaillant une découverte révolutionnaire sur le blanchiment des coraux. Bien que le blanchiment des coraux soit décrit par les scientifiques depuis des décennies, le mécanisme provoquant ce phénomène reste incertain. Malgré des recherches extensives, peu de découvertes ont été faites afin de savoir si le blanchiment est initié par le corail ou par les zooxanthelles symbiotiques vivant dans le corail. Selon Rädecker et al., l’équilibre délicat de l’interaction métabolique entre le corail et le symbionte est perturbé en cas de stress, conduisant au blanchiment et cela commence plus tôt que ce qui était pensé.
Symbiose pour la survie
La plupart des coraux vivent dans des environnements tropicaux pauvres en nutriments. L’absence de nutriments en suspension est la raison pour laquelle l’eau autour des récifs est généralement si claire. Ainsi, les coraux doivent chercher leur nourriture au-delà de la colonne d’eau et c’est ici que les algues entrent en jeu. Au fil du temps, le corail et les algues ont évolué ensemble pour former une relation mutuellement bénéfique dans laquelle le corail fournit un abri et du dioxyde de carbone aux algues, et que les algues fournissent en retour des nutriments au corail via ses capacités photosynthétiques. Les scientifiques savent qu’un stress thermique peut entraîner la rupture de cette relation, ce qui fait que les algues quittent le corail le laissant blanchi et affamé. Avec l’augmentation de la température globale des océans, il est essentiel de déterminer la cause initiale du blanchiment afin de mieux se prémunir contre la rupture de la symbiose corail-algue.
La responsabilité de la perturbation du cycle des nutriments
La récente publication de Rädecker et al. examine le délai entre l’apparition du stress thermique et le début du blanchiment visible pour déterminer les événements pouvant précéder un épisode de blanchiment. Afin d’étudier leur hypothèse, les chercheurs ont collecté des échantillons de corail sur le récif d’Abu Shosha en Mer Rouge, au large des côtes de l’Arabie Saoudite. Ensuite, les échantillons ont été ramenés en laboratoire où ils ont subi une exposition au stress thermique et des analyses ultérieures.
Après une étude plus approfondie, ils ont découvert que le stress thermique rendait moins stable l’échange de nutriments entre le corail et les algues. Cette dégradation est arrivée en plusieurs étapes, incluant une augmentation initiale de la demande énergétique du corail hôte en réponse au stress thermique. L’hôte n’ayant pas assez d’énergie, les acides aminés se sont dégradés faisant passer le corail d’un besoin accru en azote à un besoin accru en carbone. Le carbone est un élément clé de la symbiose entre le corail et les algues. En utilisant la photosynthèse, les algues décomposent le dioxyde de carbone produit par le corail lors de la respiration cellulaire. Elles transforment le CO2 en sucres que les coraux utilisent ensuite pour produire les protéines et le carbonate de calcium (entre autres) qui le maintiennent en vie. Le carbone étant l’un des principaux éléments de la symbiose corail-algue, la rupture du cycle du carbone se traduit par une dégradation de la relation symbiotique. En outre, ils ont découvert que ces étapes nuisibles menant à la rupture de la symbiose se produisent bien avant que le blanchiment ne soit visible.
Graphique tiré de Rädecker et al. détaillant le mécanisme par lequel la symbiose corail-algues est établie, puis stabilisée ou déstabilisée. « C-limited » fait référence à un état limité en carbone tandis que « N-limited » fait référence à un état limité en azote.
Tolérance thermique
Les découvertes de Rädecker et al. ont des implications importantes sur la manière dont les scientifiques étudient la tolérance thermique des coraux. Les coraux en mer Rouge, le site d’échantillonnage de cette recherche, sont connus pour être les coraux les plus thermiquement tolérants au monde. La tolérance thermique est l’une des composantes majeures de la recherche sur la conservation des coraux: plus un corail est tolérant à la chaleur, plus il a de chances de survivre à des événements de stress thermique. C’est pourquoi les scientifiques cherchent depuis longtemps la réponse à la question de ce qui rend un corail tolérant à la chaleur, dans l’espoir d’utiliser la réponse afin de mieux protéger les coraux possédant déjà ce qu’il faut ainsi que renforcer ceux qui qui ne l’ont pas.
Parmi les conclusions tirées de leurs expériences, Rädecker et al. incluent l’idée que la stabilité du cycle des nutriments est plus prédictive de la tolérance thermique que d’autres mécanismes tels que le seuil de blanchiment thermique des symbiontes.
Graphique tiré de Rädecker et al. comparant un corail “contrôle” et un ayant été soumis 10 jours à un stress thermique. Au jour 10, il n’y avait pas de différence significative entre les densités d’algues symbiotiques ou la teneur en chlorophylle a entre les deux échantillons. Aucun des échantillons ne présentait de signes visibles de blanchiment. Ceci confirme l’hypothèse selon laquelle une rupture de la symbiose se produit avant que le blanchiment ne devienne apparent.
Et ensuite ?
Bien que le mystère du blanchiment des coraux ait longtemps hanté les scientifiques, ces découvertes révolutionnaires ont de vastes implications pour les futures recherches et la conservation des coraux. La stabilité du cycle des nutriments est un axe de recherche important à poursuivre afin de mieux comprendre la tolérance thermique des symbioses, en particulier face à une crise climatique croissante. Rädecker et al. notent aussi que dû à la relation passive mais compétitive entre le corail et les symbiontes, ces résultats peuvent s’appliquer à d’autres relations symbiotiques, tant marines que terrestres. Cela renforce d’autant plus les conséquences négatives du réchauffement global des températures. Pour l’instant, cette recherche constitue un pas dans la bonne direction vers une meilleure compréhension du fonctionnement de la symbiose corallienne et de la manière dont cette symbiose peut être protégée.
Si vous souhaitez en savoir plus, notamment pour une explication approfondie des mécanismes cellulaires évoqués dans cet article, veuillez lire la publication de Rädecker et al. disponible ici.
Pour toute question, veuillez contacter l’auteur: dmoloney@fandm.edu.